Les effets systémiques de la chute du stablecoin de Terra-Luna, début mai, ont mis en lumière les pratiques risquées, voire douteuses, de nombreux acteurs centralisés.
«C’est comme si toute l’industrie s’était construite autour d’un ‘hedge fund’ surendetté», a posté avec ironie le compte Twitter FxMacro à l’annonce par le courtier crypto Genesis de son exposition au fonds Three Arrows Capital (3AC), placé en liquidation par un tribunal des îles Vierges britanniques fin juin. Depuis, la liste des acteurs exposés à 3AC ne cesse de s’allonger.
La chute de Terra a montré que de nombreux acteurs avaient été attirés par les rendements, oscillant entre 18% et 20%, de son protocole de finance décentralisée (DeFi), Anchor Protocol.
Sentant le vent tourner, avec une situation macroéconomique de plus en plus tendue, l’un des premiers à en sortir a été Celsius Network, selon un rapport de Nansen. Il a retiré l’équivalent de 420 millions de dollars, lançant le bank run fatal à l’écosystème de Do Kwon, le géniteur de Terra. Depuis, Celsius a été obligé de bloquer les fonds de ses utilisateurs. Autre acteur grandement impliqué dans Terra : le fonds Three Arrows Capital, aujourd’hui placé en liquidation.
«Normalement, la chute d’un acteur comme Terra aurait dû être presque indolore pour l’industrie», explique Charlie Meraud, cofondateur du courtier en cryptoactifs Woorton. Pour lui, «cette chute a mis en lumière des stratégies de management de risque dignes d’amateurs». Il paraît aujourd’hui incroyable de constater que les deux fondateurs du fonds Three Arrows Capital – Zhu Su et Kyle Davies – affirmaient ouvertement baser leur stratégie sur un marché des cryptoactifs continuellement haussier… avec un prix du bitcoin atteignant les 2,5 millions de dollars !
Le fonds d’origine singapourienne gérait entre 3 milliards et 18 milliards de dollars d’actifs et pourrait entraîner dans son sillage de nombreux acteurs importants qui promettaient des rendements à leurs clients. Comme le courtier américain Voyager, exposé à hauteur de 670 millions de dollars, Blockchain.com, à hauteur de 270 millions de dollars, Genesis, qui selon le media CoinDesk serait exposé à hauteur de «plusieurs centaines de millions de dollars». «Les acteurs qui souffrent actuellement sont essentiellement des acteurs de la finance centralisée [CeFi]. On observe les mêmes dérives que dans la finance traditionnelle, avec des pratiques et des stratégies opaques», remarque Charlie Meraud, qui insiste sur les taux de rendement «extravagants». «Il n’y a pas de secret, que ce soit dans les crypto ou la finance traditionnelle, le taux de rendement proposé est proportionnel au risque», ajoute-t-il.
La transparence de la DeFi comme lanceur d’alerte
«La valeur ajoutée de la DeFi, c’est justement une transparence totale, avec la promesse d’un financement hors système bancaire classique. Si vous ne respectez pas ces principes, vous n’avez pas vraiment de plus-value», indique Paul Frambot, cofondateur du protocole de finance décentralisée Morpho.
Par définition, tout est visible au sein de la DeFi. C’est d’ailleurs grâce à cette transparence que les premiers doutes sur les difficultés financières de Celsius sont apparues, mi-juin, via l’analyse de ses positions au sein d’un protocole d’échange comme Curve, sorte de place de marché, via les smart contracts, ces programmes informatiques déployés sur un système blockchain.
Si la DeFi est entièrement transparente, ce n’est pas le cas des pratiques des plateformes comme Celsius. «Rien n’empêche ces acteurs de se prêter entre eux en dehors du système DeFi et d’y mettre des cryptomonnaies en garantie», fait remarquer Artem Sinyakin, commercial pour Just Mining et fondateur du média OAKinvest. Depuis le début du «crypto-krach», les interrogations se multiplient concernant l’utilisation des fonds des clients, lesquels ne reverront peut-être jamais leur mise.
Les actifs de millions d’utilisateurs en jeu
Les plateformes comme Voyager, Celsius ou Genesis sont en revanche précieuses parce qu’elles ont joué le rôle d’intermédiaires permettant de placer les crypto sur les marchés, ce qui permettait à d’autres acteurs de proposer des rendements à leurs clients.
Il reste à savoir de quelles protections juridiques disposeront les clients des plateformes si ces dernières font faillite. «Clairement, si vous êtes européen avec des fonds chez Celsius, il sera quasiment impossible de récupérer votre argent. Vous abandonnerez les poursuites rapidement à cause des frais de procédure, trop élevés», analyse William O’Rorke, avocat spécialisé dans le droit des cryptoactifs et fondateur du cabinet ORWL.
Les plateformes en difficulté, comme Celsius, peineront à se relever. Pour le moment, cette dernière n’a pas encore fait faillite et continue de se débattre, en remboursant certaines de ses dettes. D’autres, comme Voyager, se sont placées sous le régime américain des faillites (chapitre 11). «Même si Celsius arrive à s’en sortir, ils auront un problème de confiance de la part de leurs utilisateurs, comme la plupart des plateformes d’ailleurs», conclut Charlie Meraud.