La faillite de SVB rebat les cartes et met la Fed sous pression : entre stabilité financière et poursuite du resserrement monétaire, Jerome Powell va devoir choisir. Et rien n’est simple.

La faillite, le 10 mars dernier, de Silicon Valley Bank (SVB), a mis en lumière la fragilité du système financier américain, sous tension par un an de resserrement monétaire à marche forcée.

L’intervention en urgence de la Fed, en étroite coordination avec le Trésor américain et le fonds de garantie des dépôts FDIC, a permis d’éviter la propagation d’un risque systémique. Au-delà des caractéristiques et des erreurs de gestion spécifiques à SVB, la leçon de cet épisode est claire : la coïncidence d’une montrée très rapide des taux d’intérêt et de la sensible diminution du bilan de la Fed qui a fait baisser, dans les bilans bancaires, la part des liquidités, est susceptible de fragiliser le système financier américain.

Les marchés ne s’y sont pas trompés : entre le 9 mars au matin et le 13 mars au soir, ils ont jeté par-dessus bord leurs quatre hausses de taux d’un quart de point anticipées pour cette année, pour les remplacer par… quatre baisses ! Au diable l’inflation, la stabilité financière avant tout.

Avant l’épisode SVB, le diagnostic de la Fed était tout autre et les hausses de taux devaient se poursuivre pour remporter le combat contre la hausse des prix : même si l’inflation générale baisse, elle reste élevée, au-delà de 6% en rythme annuel. Et surtout l’inflation « coeur », hors énergie et alimentation, se révèle plus persistante qu’attendue, avec un indice CPI pour le mois de février à 5,5%.

Pour l’institution de Washington, si les perturbations de l’offre ont pris fin, reste à calmer la demande, toujours trop forte, qui menace de faire durer l’inflation au-delà du raisonnable. D’où la nécessité de poursuivre le resserrement des conditions financières via la montée des taux d’intérêt. Néanmoins, plusieurs indicateurs montrent que le processus de désinflation va se poursuivre naturellement dans les prochains mois car la demande décélère.

Le marché de l’emploi, en apparence toujours très dynamique, donne par exemple des signes clairs de refroidissement. Certes, le nombre de créations nettes d’emplois reste positif. Mais celui-ci ne progresse plus depuis trois mois et a beaucoup chuté depuis les presque 800 000 créations nettes de janvier 2022. Le nombre d’offres publiées par les sites comme Indeed, LinkUp ou ZipRecruiter est également en chute depuis les sommets du premier trimestre 2022.

Même si l’on s’en tient aux chiffres officiels de l’administration américaine, le détail montre une tendance nette au ralentissement. L’emploi intérimaire, souvent un bon indicateur avancé du reste des créations de postes, est à l’arrêt. Le nombre d’heures travaillées, qui avait explosé à partir du deuxième trimestre 2021 est désormais en diminution sur un an. Et le taux de démission, qui avait atteint un plus haut en janvier 2022 à 6,5% selon l’enquête JOLTS, est tombé à 5,8%. Même les salaires se calment : en à peine six mois, l’indice salarial publié par la Fed d’Atlanta est passé de +3,1% à +2,85% annualisé.

L’activité industrielle suit le mouvement. La composante « nouvelles commandes » de l’indice ISM sur les anticipations des directeurs d’achats dans le secteur manufacturier, après un très faible 42,5 en janvier, est ainsi toujours en territoire de forte contraction pour le mois de février, à 47. La composante de cet indice, à 49, montre également que la dynamique dans la partie « amont » de l’économie américaine, se dégrade. Ceci est confirmé par notre indicateur Montpensier MMS de Momentum Economique aux Etats-Unis, toujours très faible à 30.

L’étude de plusieurs marqueurs financiers publiés par la Fed de New York ce mois-ci, confirme les pressions sur la demande. Les entrées en « défaut confirmé » pour les prêts automobiles sont ainsi en augmentation constante depuis décembre 2021, tout comme pour les crédits révolving. Même s’ils ne sont pas inquiétants en eux mêmes – entre 1,5% et 4,5% de défaut pour les premiers et entre 3% et 7,5% pour les seconds en fonction de l’âge des emprunteurs – la tendance est notable et marque un retour à la normale après les flots d’argent public post CoVid.

Derniers indicateurs qui vont dans le sens d’un ralentissement, les loyers.
Ainsi, l’indice de renouvellement des loyers, publié trimestriellement par la Fed. de Cleveland, après un pic à 12% de progression annuelle au premier trimestre 2022 ne progresse plus que de 6% neuf mois plus tard. La même décélération se retrouve dans les statistiques des grandes plateformes immobilières américaines à l’image de Zillow ou Trulia.

Les conséquences de SVB risquent également de peser rapidement sur la demande. Les banques américaines vont très probablement devoir augmenter sensiblement la rémunération des dépôts pour éviter que ceux-ci ne se vident. Ceci renchérira leur coût du capital et les conduira à réduire leur activité de crédit, ce qui pèsera sur la demande future.

La bonne nouvelle est que la Fed est en train de gagner son pari. Après la normalisation de l’offre, celle de la demande est en route. Le stress financier généré par SVB lui donne l’occasion de faire enfin une pause dans son resserrement monétaire, après peut-être une dernière hausse le 23 mars prochain. Elle aurait tout intérêt à saisir cette opportunité et à sortir d’une rhétorique guerrière sans fin qui inquiète de plus en plus les milieux économiques et mais aussi politiques.

Car, à plus long terme, il en va aussi de l’avenir de la banque centrale américaine et de son indépendance. Le 7 et le 8 mars dernier, lors de ses auditions auprès du Comité Économique du Sénat puis de la Chambre des Représentants, Jerome Powell s’était montré très déterminé à poursuivre ses hausses de taux. Brutalement mis en cause par Elizabeth Warren, la sénatrice démocrate du Massachussetts, pour son insensibilité présumée face au sort de millions de citoyens menacés de perdreleur emploi en raison de sa politique, il s’est vu alors également attaqué par des sénateurs républicains comme John Neely Kennedy (Louisiane) et Katie Britt (Alabama).

Il n’en faudrait pas beaucoup plus pour revenir sur le Federal Reserve Act de 1977 et bouleverser les certitudes. Et l’intervention de la Fed le week-end dernier pour « sauver les banques de la Silicon Valley » a tout pour raviver les critiques à l’égard de l’institution, accusée de se préoccuper davantage de Wall Street que de Main Street.

La pression est donc maximale sur la Fed avant la réunion des 21 et 22 mars prochain. La mission du comité de politique monétaire sera de trouver les bons équilibres et aussi la bonne communication pour que la sérénité puisse revenir. Les marchés sont sur le qui-vive.

 

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