Les marchés restent pessimistes sur les perspectives de fin d’année et le cycle macroéconomique. Quelle est votre vision ?

Le monde ne va pas si mal. Et j’ai été surpris de constater que la plupart des investisseurs que j’ai rencontrés cet été partagent notre analyse plutôt positive sur l’économie. Souvenez-vous, à la mi-août, les anticipations étaient cohérentes avec un scénario noir de récession d’une ampleur équivalente à celle de 2008 ! Et pourtant, le chômage baisse, les taux d’intérêt sont bas, la confiance des consommateurs est bonne et aucune bulle ne se manifeste à l’horizon.

 Comment expliquez-vous ce grand écart de perception ?

La principale explication se trouve, à mon sens, dans les forces en présence sur les marchés. En 2010, le poids des différents intervenants était encore équilibré entre les banques, les gestions actives, les investisseurs de long terme qui interviennent peu et enfin les traders. Ce schéma n’existe plus aujourd’hui. Les banques sont marginalisées, la gestion passive prime sur la gestion active et, finalement, ce sont les traders qui occupent l’espace, surtout l’été ! C’est loin d’être neutre. Car les traders se nourrissent de la volatilité, qui, elle-même, se nourrit du bruit médiatique. Et ce bruit, et c’est sans doute la seconde explication, devient de plus en plus assourdissant.

Selon vous, c’est le buzz qui fait la loi sur les marchés ?

L’explosion des médias sociaux et des chaînes d’infos impacte fortement les marchés financiers. A chaque jour son flux de « breaking news », d’indicateurs avancés et de tweets… Peu importe la qualité du signal. Et tant mieux si les nouvelles annoncent des catastrophes. C’est plus facile à vendre pour les traders, d’où ce biais souvent négatif des marchés. En revanche, il devient de plus en plus difficile d’investir au sens traditionnel du terme. Dans ce brouhaha permanent, comment défendre un style de gestion, des convictions, un horizon d’investissement ?

La montée des populismes, le Brexit, les tensions commerciales, la remise en cause des modèles de croissance sont pourtant bien réels…

Oui, peut-être que le marché a raison… Mais à regarder de plus près, que voit-on ? Le populisme que l’on annonçait triomphant recule face aux résistances des institutions et des sociétés civiles. L’instabilité politique ? Elle n’est en réalité pas plus manifeste aujourd’hui qu’hier, on en parle juste davantage. Quant à la guerre commerciale, elle n’a pas eu jusqu’ici de réel impact sur la croissance, sur l’offre de biens ou sur les prix. En revanche, toutes ces tensions alimentent en permanence un climat anxiogène.

Quel est, selon vous, le principal facteur de risque ?

Le retour de l’inflation, le pire ennemi des marchés. Chez H2O, nous ne partageons pas le nouveau postulat quant à la disparition supposée de l’inflation. Certes, la technologie, la mondialisation, le vieillissement de la population sont de puissants amortisseurs, mais l’inflation est un processus mécanique : les banques centrales la cherchent, elles finiront par la trouver. D’autant que la déglobalisation en cours est un vecteur d’inflation future.

Que pensez-vous de l’action des banques centrales ?

Aujourd’hui, quand les banques centrales ajustent les taux, en dehors de toute logique économique, ou rachètent des actifs, elles bouleversent complètement les échelles de risque. Le ressort des politiques monétaires ne fonctionne plus, pas plus que la transmission économique. En principe, cette dernière (la transmission économique) consiste à dire aux agents : plus vous prenez de risque, plus vous êtes payés. Or ce n’est plus le cas : il y a désormais des actifs « politiquement correct » car peu volatils, où les primes de risque sont artificiellement écrasées, et de l’autre, des actifs « non politiquement correct », car très volatils et dont personne ne veut malgré des primes élevées.

Les actions sont au plus haut et les obligations sont chères. Existe-t-il toujours des opportunités d’investissement ?

Jamais, dans l’histoire des marchés, il n’y a eu d’écart aussi important entre les actifs non risqués et risqués. Les investisseurs sont prêts à payer pour détenir une obligation allemande alors qu’il existe des primes de risque historiquement élevées dans de nombreuses classes d’actifs, comme la dette non cotée, émergente en monnaie locale, les actions, les pays en situation de stress, comme l’Argentine, la Turquie ou bien le Venezuela. Ces actifs ne sont plus achetés car ils s’intègrent mal dans un cadre de contrôle des risques qui refuse toute volatilité quotidienne.

Quelles sont vos recommandations pour 2020 ?

Tous les actifs sous les projecteurs avec un biais plutôt négatif méritent notre attention. Le consensus l’emporte rarement sur les marchés. Nous pouvons encore trouver de la valeur sur les marchés actions, délaissées par les investisseurs, dont les secteurs « value » sont les plus attractifs. C’est sans doute la plus belle opportunité de marché aujourd’hui. Dans un monde de fin de cycle, mais dont la récession est reportée, ils devraient attirer de nouveaux flux. Ils peuvent aussi s’avérer utiles en cas de retournement économique, grâce à leurs rendements élevés. En clair, ces valeurs sont tellement décotées qu’elles sont devenues « multiscénario ». D’ailleurs, les secteurs « value » ont été très protecteurs à la fin de l’année 2018, bien plus que les défensifs.

Etes-vous positifs même sur les valeurs bancaires ?

Le secteur bancaire est un grand pari chez H2O. Les bilans bancaires sont mieux protégés, les fonds propres ont doublé, ce qui leur confère un caractère défensif inédit. Si les taux restent bas, elles demeureront de belles valeurs de rendement. Et si le cycle de croissance se prolonge comme dans les années 1990, alors elles offriront de belles plus-values.

Les pays émergents recèlent-ils toujours de la valeur ?

Les pays émergents, notamment leurs devises, offrent enfin de belles primes de risque. Ce n’était plus le cas depuis plusieurs années. Plusieurs banques centrales émergentes ont pris conscience qu’il fallait défendre leur monnaie. Ce fut notamment le cas en Turquie l’an dernier où nos portefeuilles ont réalisé de belles performances, alors que le marché anticipait un effondrement de la monnaie.

Quels sont les actifs sur lesquels vous avez une position plus prudente, voire de défiance ?

Il faut commencer à se poser la question sur le crédit obligataire, un vrai changement dans nos gestions. Il reste sans doute un peu de potentiel car les investisseurs sont quasiment contraints de rester sur ce marché, faute d’alternative. Cette sortie doit néanmoins se préparer à un horizon de six mois. Recevoir moins de 1 % de taux d’intérêt réel sur de la dette notée BB (donc à risque) est anormal et le moindre changement de régime de la part des banques centrales pourrait avoir de lourdes conséquences.

Sur les actions, nous sortons dès à présent des secteurs défensifs, qui présentent pour nous un vrai danger de complaisance. Ils n’ont plus de défensif que le nom. Leur retournement peut être brutal en cas de remontée des taux d’intérêt, même légère. En résumé, nous sommes vendeurs de tout ce qui peut être considéré comme des valeurs « refuges ». Quant aux actifs « protecteurs », comme le yen, le franc suisse ou l’or, ils ne fonctionnent plus depuis plusieurs années.

Vos fonds sont-ils des fonds spéculatifs ?

L’ensemble des fonds H2O se décline dans le cadre réglementaire Ucits, qui garantit une liquidité quotidienne et la transparence sur la composition des portefeuilles. Nos fonds peuvent certes être volatils et utilisent des effets de levier. Mais nous ne pensons pas que la volatilité ou le levier soient, en eux-mêmes, des éléments de risque. Le levier est notamment utilisé pour équilibrer nos portefeuilles. Et la volatilité n’est souvent que le reflet du bruit médiatique.

Quelle est la définition du risque selon nous ? C’est la probabilité de perdre son capital à son horizon d’investissement. Sur trois ans glissants, H2O Multibonds ou H2O MultiStrategies n’ont jamais affiché de perte en capital. Nous ne pouvons le garantir, mais c’est notre objectif permanent.

Quels enseignements avez-vous tirés de la crise que vous avez traversée en juin dernier ?

Cette vague de rachats nous a surpris, nous ne nous attendions pas à une telle réaction du marché. Nous avons des obligations non cotées en portefeuille depuis 2003, mais toujours en faible quantité : 5 % au maximum dans H20 MultiBonds et 3 % dans Adagio.

Nous avons montré que nous étions capables de gérer la liquidité quelles que soient les conditions de marché. Toutefois, cette crise montre aussi que nous ne pouvons pas nous affranchir complètement du bruit médiatique. Celui-ci peut, à lui seul, changer la valeur d’un actif. Il faudra en tenir compte dans nos choix d’investissement, notamment pour bien calibrer dans nos portefeuilles les actifs « à stigma », ceux qui peuvent susciter des questions. Mais, il ne faut pas non plus se tromper : il existe beaucoup de valeurs dans tous ces segments et nous continuerons à faire profiter nos investisseurs de nos arbitrages de primes de risque.

Eric Benhamou – Les Echos 08/10/2019

Les informations présentées ne constituent en aucun cas une incitation à l’achat et / ou à la vente, il s’agit uniquement de données extraites des nombreuses sources d’informations reçues quotidiennement au sein du cabinet

Vous voulez en savoir plus ? Vous avez une question ?

    J'ai lu et accepte la politique de confidentialité du site. Je comprends que, lors du transfert des données via ce formulaire de contact et après avoir cliqué sur le bouton 'Envoyer', mes données personnelles ne sont transmises au responsable du site uniquement que pour permettre à ce dernier de me répondre.